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Valéry Giroux : les droits des animaux

« Plus que tout autre droit, les droits fondamentaux de la personne créent une sorte de barrière de protection autour de chaque individu que l’on ne peut franchir au bénéfice d’autrui ou de la collectivité, sauf dans des cas exceptionnels. Mais sur quoi fonder ces droits ? Selon l’approche des droits fondés sur des intérêts – qui est la seule théorie portant sur la fonction des droits qui permet d’expliquer pourquoi nous octroyons des droits fondamentaux à tous les êtres humains –, ces droits visent à protéger certains des intérêts de leurs titulaires, généralement ceux qui sont jugés les plus importants et les plus intimement liés à la valeur inhérente des personnes. […] Parmi les droits les plus fondamentaux dont jouissent tous les êtres humains se trouvent notamment le droit à l’intégrité physique, le droit à la vie et le droit à la liberté. Est-ce légitime de réserver ces droits aux membres de l’espèce homo sapiens exclusivement ? N’est-il pas possible que les membres d’autres espèces animales possèdent, eux aussi, les intérêts fondamentaux que ces droits servent à protéger ?

a) Un droit à l'intégrité physique ?

[…] Nombre d’animaux non humains sont […] sensibles. Mais ont-ils intérêt à ne pas souffrir ? Certains auteurs ont tenté de convaincre leurs lecteurs que, parce qu’ils ne disposent pas des capacités langagières requises, les animaux non humains ne peuvent avoir de désirs ou de croyances et que, par conséquent, ils n’ont pas d’intérêt envers quoi que ce soit. À cela, d’autres ont répondu qu’il n’est pourtant pas nécessaire de disposer du concept de croyance pour avoir des croyances et que de nombreux animaux peuvent non seulement avoir des intérêts de l’ordre de ce qui est bien pour eux et de ce qui favorise leur bien-être global, mais également des intérêts de l’ordre des désirs. Tout nous porte à croire que bien des animaux sont sensibles et que tous les êtres sensibles ont, par nature, intérêt à ne pas souffrir. Selon le principe de l’égale considération des intérêts, cela nous oblige à leur octroyer le droit fondamental à l’intégrité physique et cela devrait nous amener à interdire toutes les pratiques impliquant qu’il leur soit imposé de la douleur pour nos fins.

b) Un droit à la vie ?

Cela dit, non seulement nous faisons souffrir les animaux que nous utilisons, mais nous nous autorisons également à les tuer pour nos fins. Pourtant, la mise à mort est prohibée lorsqu’il s’agit d’êtres humains. Sauf dans d’exceptionnelles circonstances, le geste consistant à tuer un individu est un meurtre, c’est-à-dire une des infractions criminelles les plus graves. Mais pourquoi interdisons-nous la mise à mort d’êtres humains, même lorsqu’elle pourrait être infligée de manière indolore et inconsciente, alors que nous nous permettons de tuer massivement des animaux non humains ? Est-ce que les humains sont les seuls animaux à avoir intérêt à vivre ? Il n’est pas simple de retracer ce qui se trouve au fondement de l’intérêt à vivre que nous prêtons, a priori, à tous les êtres humains. Plusieurs auteurs estiment que, si la mort constitue généralement un dommage pour les humains, c’est qu’elle les prive des bonnes choses qu’ils auraient pu obtenir s’ils étaient restés en vie. En outre, plus encore que l’intérêt à ne pas mourir, nous reconnaissons que tous les êtres humains ont intérêt à ne pas être tués. L’intérêt à vivre de chacun peut certes varier en intensité. Il est même possible que certains individus, condamnés par la maladie à une souffrance chronique par exemple, n’aient plus intérêt à vivre du tout. Parce qu’il est difficile d’évaluer cet intérêt d’un point de vue extérieur peut-être, ou parce que nous redoutons les abus, nous préférons, malgré cela, accorder un égal droit à la vie à chacun et prohiber la mise à mort sauf dans d’exceptionnelles circonstances. Or, tous les animaux sensibles, au moment de mourir, perdent ces bonnes choses dont ils auraient pu bénéficier s’ils étaient restés en vie. Du point de vue de chaque animal (humain ou non), sa vie est probablement ce qui compte le plus et il semble impossible, voire absurde, de comparer la valeur de la vie des uns et des autres puisque celle-ci s’évalue toujours subjectivement. Le critère principalement retenu pour expliquer l’intérêt humain à vivre n’est pas proprement humain, ce qui nous force à conclure que tous les êtres sensibles peuvent avoir intérêt à se perpétuer dans leur être. Tous les êtres sensibles devraient donc avoir le droit de ne pas être torturés et le droit de ne pas être tués. Mais qu’en serait-il d’une utilisation douce et indolore, qui ne mènerait pas à la mise à mort ?

c) Un droit à la liberté ?

Plusieurs sociétés en sont venues à condamner l’esclavage humain, peu importe la façon dont les esclaves sont traités. Les animaux non humains, pour leur part, sont considérés comme des ressources que nous pouvons nous approprier, même si leur traitement est parfois règlementé. Mais est-ce à dire que tous les êtres humains et seuls les êtres humains ont intérêt à être libres ? […] Bien entendu, tous les êtres mobiles et capables d’intentionnalité subissent un tort lorsqu’on les empêche de faire ce qu’ils sont enclins à faire puisqu’ils sont alors stressés, contrariés ou frustrés. Bien des animaux non humains auraient donc intérêt à être libres au sens de la liberté négative. Or, ce paradigme de la liberté, dénoncent certains auteurs comme Quentin Skinner et Philip Pettit, permettrait qu’un esclave soit considéré comme libre, tant que son maître se fait clément et n’exerce pas son pouvoir d’intervention. Mais cela semble contre-intuitif. De la même façon, un chien auquel son propriétaire aurait appris, par renforcement positif exclusivement, à ne traverser la rue qu’aux feux verts, pourrait être « libre » de se promener où il le veut, sans laisse ni collier ; de se nourrir et de s’abreuver à sa guise ; de se reposer lorsqu’il l’entend, sans jamais être dérangé dans ses initiatives. Ce chien, comme l’esclave humain, demeurerait pourtant la propriété de son maître et se trouverait à vivre sous une épée de Damoclès, risquant à chaque instant que son bon propriétaire se fasse soudainement moins gentil. Le statut moral et légal inférieur de ces individus les place dans une situation de domination et c’est la précarité de leur sort qui contrevient à leur véritable intérêt (intérêt dit républicain) à être libres. Aussi bien traités soient-ils, tous les individus qui ont intérêt à ne pas subir d’interférences ont intérêt à ne pas risquer d’en subir. Seule une égalité de statut leur permettrait de ne pas courir ce risque. Voilà pourquoi il semble que l’octroi du statut égal de personne à tous les êtres sensibles s’impose. Voilà pourquoi les trois principaux droits fondamentaux ne devraient plus être limités aux seuls êtres humains, mais profiter à tous les animaux sensibles. » Valéry Giroux, « Vers la liberté animale », À babord !, n°42.)